Photo : Christian Cousson
MTAM et COLLECTOR émis par le Cercle Philatélique de Decize, Saint-Léger-des-Vignes et environs en 2014, à l'occasion de la Bourse aux Timbres de Saint-Léger
La
construction des canaux et du barrage.
Le
canal du Nivernais, reliant Saint-Léger-des-Vignes à Auxerre
(174 km) est inauguré le 15 mars 1841. Il avait été commencé sous
l'Ancien Régime, en 1784 : son but initial était de favoriser le
flottage des bois du Morvan jusqu'à Paris. Les premiers aménagements
ont été une rigole de flottage entre l'étang de Baye et l'Yonne,
un port sur l'étang de Baye, l'élargissement du ruisseau de Baye
jusqu'à son débouché dans l'Aron et la canalisation de l'Aron de
Châtillon-en-Bazois à Cercy-la-Tour. Les premiers travaux se sont
faits très lentement, les ingénieurs découvrant des difficultés
imprévues lors du percement du tunnel.
En
août 1790, l'ingénieur Bossu établit un projet nouveau : il s'agit
de relier Decize à Cravant (c'est-à-dire la Loire à l'Yonne) par
un véritable canal accessible à des bateaux de plus de douze toises
de long (environ 24 mètres). Les travaux sont suspendus peu après ;
ils reprennent momentanément en 1809 pour être interrompus en 1812.
Ce n'est qu'en août 1822 qu'une loi ordonne la reprise et
l'achèvement des travaux. En 1834, la navigation est ouverte entre
Decize et Cercy ; en 1841, le bief de partage est enfin ouvert 1.
Le
canal du Nivernais est pendant les années 1830-1880 partagé entre
deux catégories d'utilisateurs : les flotteurs, qui ont besoin de
lâchées
d'eau
périodiques pour faire descendre leurs bûches à Clamecy ou à
Auxerre ; les mariniers qui réclament une alimentation en eau
régulière des biefs. Les premières écluses sont encore fermées
par des aiguilles
de
bois, ce qui rend leur franchissement très lent.
A
Decize, l'ouverture du canal signifie une modification du port
charbonnier ; il quitte La Charbonnière de Saint-Léger pour
s'installer à La Copine, près de Champvert ; c'est là qu'un petit
train descend le charbon depuis l'usine de triage du Pré Charpin
(les convois d'ânes et de bœufs
disparaissent). Sur trois kilomètres, jusqu'à sa jonction avec la
Loire, le canal est emprunté par les péniches de charbon qui
descendent à Imphy, à Fourchambault, voire à Nantes. Saint-Léger,
qui a perdu le port charbonnier, charge des bouteilles de la
Verrerie, qui partent à Reims, des sables et des plâtres. D'autres
marchandises viennent des confins du Bazois, du Morvan : du bois, du
charbon de bois, de la terre glaise, des pierres à bâtir.
Le
canal latéral à la Loire,
de Digoin à Briare, est ouvert à la navigation le 17 décembre
1837. A l'origine de ce canal, il y a une constatation : le fleuve
est trop irrégulier pour permettre une navigation continue. Pendant
près d'un demi-siècle, d'importants groupes de pression vont se
heurter pour inciter les gouvernements successifs soit à construire
un canal latéral de Roanne à Nantes (ce sera la thèse développée
par Auguste Mahaut 2),
soit à faire draguer le fleuve et continuer la navigation
traditionnelle (ce sera la thèse des entrepreneurs de bateaux à
vapeur Inexplosibles
et
des industriels de Touraine).
Très
vite, avec le développement industriel, à Decize le canal l'emporte
sur la Loire :
tonnage tonnage
nombre de
à
la descente à la remonte bateaux
1845 36571,6
T 29474,1 T
1846 38872
T 30044 T
1847 60812
T 40920 T 1492 + 1185
1848 40286,2
T 22736 T 946 + 1001
1849 62592
T 13336 T 1093 + 859
1850 65368
T 29229 T 1398 + 964 3
A
l'écluse de l'Acolin, le tonnage se répartit ainsi en 1849 :
-
houille : 78800 T (83% du tonnage)
-
fer et fonte : 7514,6 T
-
plâtre : 4358 T
-
charbon de bois : 3782 T
-
vins : 1313 T
A
la satisfaction des élus nivernais, l'ingénieur de la navigation
tire un bilan très positif de cet ouvrage. Le canal latéral à la
Loire "forme
le noeud d'une double communication de la Méditerranée avec l'Océan
et le lien de trois grands entrepôts : Lyon sur le Rhône d'une
part, avec Orléans sur la Loire, et Paris sur la Seine de l'autre".
Il
permet de "développer
toutes les forces productives du pays que le canal parcourt, en
facilitant et assurant l'approvisionnement de toutes les industries
locales, l'élevage et l'exportation de leurs produits 4".
Or
Decize se trouve presque au centre de ce réseau, et le canal du
Nivernais permet d'autres débouchés. Encore faut-il relier les
différentes voies navigables. Un canal de jonction est creusé entre
Saint-Maurice et la Loire ; une enquête de
commodo
vel incommodo
est ouverte à la mairie ; si la plupart des habitants sont
favorables à cette jonction, ceux de la Saulaie se plaignent, car la
longue digue insubmersible élevée sur la rive opposée entre le
pont du faubourg d'Allier et Chevannes risque de rejeter le cours du
fleuve de leur côté.
Les
bateaux peuvent maintenant déboucher dans la Loire. Mais d'autres
difficultés doivent être surmontées. En période de basses eaux,
les péniches passant d'un canal à l'autre, trop lourdement
chargées, sont bloquées par les bancs de sable du chenal de la
Loire. Un barrage est nécessaire pour relever le niveau d'eau entre
la jonction et Saint-Léger.
Le
barrage de Saint-Léger-des-Vignes.
En
1834, l'ingénieur Poirée a construit à Basseville, pour permettre
la traversée de l'Yonne, un barrage mobile à fermettes. Deux ans
plus tard, un ouvrage similaire est construit en aval de Decize ; le
site choisi est situé juste à l'entrée du canal du Nivernais, en
face de la Verrerie de Saint-Léger, à 500 mètres en aval de la
pointe des Halles. Sur la rive gauche de la Loire, une chevrette
submersible permet l'écoulement des fortes crues ; 97 fermettes
mobiles, espacées entre elles de 96 centimètres, permettent de
barrer la passe ; des aiguilles verticales en bois s'appuient contre
ces fermettes. Selon le débit de la Loire, on remonte ou on baisse
le nombre de fermettes nécessaire pour assurer un niveau suffisant
dans le chenal navigable, et pour laisser passer les eaux du fleuve.
Le
chenal navigable, long de 2100 mètres, permet aux péniches de
rejoindre la Jonction. Les bateaux sont halés par des ânes, des
chevaux, ou des hommes ; pour franchir la Loire entre le barrage et
la pointe des Halles, une barque transporte une extrémité d'une
longue corde, qui est reprise par des haleurs situés le long de la
promenade des Halles ; une manoeuvre similaire se fait pour rejoindre
la rive gauche après le pont du faubourg d'Allier. Plus tard, un
toueur à vapeur sera installé entre la Jonction et le barrage.
En
1860, la chevrette est exhaussée. Cinq ans plus tard, le barrage est
divisé en deux passes de respectivement 35 mètres et 62 mètres 5.
Pendant cette période, le travail du barragiste et de ses adjoints
est très dangereux : il leur faut, à la moindre alerte de crue,
abaisser les aiguilles ; cela se fait au moyen de gaffes (le treuil
ne sera installé qu'en 1865) ; le relevage est encore plus délicat
; l'opération doit se faire très rapidement et de nombreux ouvriers
- souvent des verriers - viennent donner de l'aide, moyennant une
rétribution. La cloche qui surmonte la maison du barragiste sert
aussi à alerter les sauveteurs en cas de noyade ou lorsqu'un chaland
descendant se met en travers.
Cent
ans après sa construction, le barrage reçoit plusieurs
aménagements. Les aiguilles en bois équipaient toujours la passe
principale et des hausses Chanoine (panneaux rectangulaires en bois)
la passe proche de Saint-Léger. Leur maniement était long et
dangereux. Des hausses Chanoine en acier leur sont substituées. Pour
les relever ou les abattre plus commodément, une passerelle
supérieure est bâtie sur toute la longueur du barrage ; un
chariot se déplace sur rails et supporte un treuil et une flèche
articulée, nécessaires au maniement des hausses (ou portes
métalliques). Ces travaux sont exécutés en juillet eu août 1933
par les établissements Baudin de Châteauneuf-sur-Loire pour la
passerelle et Applevage pour la fourniture du chariot et des
appareils électriques.
En
1985, une micro-centrale a été construite sur la rive de Caquerêt,
avec deux turbines. Sa puissance installée est de 3,5 MW. La digue
submersible ou chevrette a été modifiée pour laisser à l'eau un
accès sous la centrale ; une grille permet de bloquer les bois
flottants et détritus charriés par le fleuve.
-
ROLAND Serge, Le Barrage de Decize sur la Loire,
dossier d'études, plans
-
VOLUT Pierre, Decize et son canton au XIXe siècle et à la Belle
Epoque, 1999, pp. 67-69 ;
et CD-ROM Histoire de Decize,
XIX, 214.
-
DECAMPS Christian, Canal du Nivernais, Mailly-le-Château,
1990, p. 8-15.
-
PARINET Catherine et Alain, Les Canaux de Bourgogne,
Editions Ouest-France, pp. 83-84 et 106-108.
1
Christian Décamps, Canal
du Nivernais, Mailly-le-Château, 1990, p.
8-15.
2
Auguste Mahaut est une personnalité parmi les
mariniers. Il possède une flottille de péniches, dont certaines
sont rattachées au port de Saint-Léger. Il a milité toute sa vie
pour construire des canaux et il a publié de nombreuses brochures.
Une stèle commémore ce grand navigateur fluvial
àMarseilles-les-Aubigny.
3
Statistiques du Conseil Général de la Nièvre,
A.D.N. cote 1N34-35.
4
Rapport de l’ingénieur de la navigation au Conseil Général de
la Nièvre, ibidem.
5
Cf. Serge Roland, Le
Barrage de Decize sur la Loire, dossier
d'études.