Le
barrage permet au bief de Decize d'être navigable toute l'année
; le canal du Nivernais et le canal latéral à la Loire
sont reliés. En période de basses eaux, les portes sont
toutes relevées, elles sont abattues lors des crues.
Mais
il reste à traverser ce bief. A une époque où
toutes les péniches sont tractées par des animaux, la
manoeuvre est complexe. Un bateau s'arrête en Loire sous le
bassin de la Jonction. Pendant que les ânes ou chevaux
traversent Decize et Saint-Léger par les ponts, le batelier
traverse la Loire en barque avec un câble de remorque ; puis il
fait haler son bateau sur la rive, entre la Boire et la pointe des
Halles. Même manoeuvre pour passer des Halles au canal du
Nivernais. Cela prend parfois une demi-journée, avec des
risques de chavirage face au barrage, quand la péniche est
poussée latéralement par un fort courant, avec aussi
des difficultés pour croiser une péniche allant en sens
inverse.
Pour
permettre une traversée plus sûre, un service de touage
est organisé en 1869. Un petit remorqueur à vapeur
prend en charge les péniches, d'un canal à l'autre. Ce
premier toueur, baptisé Le Petit Tonin, est affermé
à M. Semé le 6 mars 1869. Il est ensuite géré
par Mme Veuve Corvol, puis par M. Tripet-Rocher en 1881. Ce dernier
fait faillite en 1900. L'affaire est reprise par sa belle-fille, Mme
Tripet-Bossuet. Et, en février 1906, le toueur s'échoue
et coule près de l'écluse de Loire, au moment où
sa gestion est confiée à M. Coulon. Le renflouage est
réalisé par l'entreprise Moine, de Decize. La machine à
vapeur est refaite par M. Pougault, garagiste à La Machine.
Le
Petit Tonin est remis en circulation en mars 1907. Il mesure
26,65 m de long sur 4,80 m de large. Son enfoncement est de 0,90 m.
Il est muni d'une chaîne de 1800 mètres, le long de
laquelle il se déplace au moyen de trois tambours entraînés
par une machine à vapeur de 25 chevaux. L'équipement du
toueur comporte également deux ancres, des perches (gaffes),
des godilles (patouilles), des bachots, divers cordages et quatre
bricoles (harnais permettant à des hommes de haler les
péniches). Le capitaine de ce toueur est Pierre Augendre, il
est aidé dans ses manoeuvres par deux matelots et par le
barragiste.
En
novembre et décembre 1910, le toueur est en panne. La machine
est révisée. Les mariniers, mécontents, signent
une pétition, car on leur impose 45 jours de chômage. La
municipalité de Saint-Léger leur distribue des aides.
Le concessionnaire n'est pas content, lui non plus, car son compte
d'exploitation est négatif : 24000 francs de dépenses
contre 15084 francs de recettes. M. Coulon aimerait imposer le touage
à tous les bateaux, or certains se passent de ses services
(environ un sur cinq à la remonte et un sur trois à la
descente). Les tarifs sont relevés, ils passent à 0,16
franc par tonne à la remonte et 0,08 francs par tonne à
la descente.
L'administration
envisage quelque temps d'acheter un nouveau toueur. Plusieurs
entreprises spécialisées sont contactées, mais
aucune décision n'est prise. Le toueur à vapeur cesse
de fonctionner en avril 1920. Son pilote assure tant bien que mal le
service jusqu'en mars 1928 : avec deux barques, deux remorques de 300
mètres et leurs attelages de chevaux et d'ânes, les
mariniers parviennent à faire passer les péniches d'un
canal à l'autre. Ce trafic cesse lorsque le pilote quitte
Decize. Il est alors nécessaire de trouver une solution.
En
1933, le service du touage est concédé à la
Chambre de Commerce et d'Industrie de la Nièvre. Un nouveau
toueur est construit par les établissements Quille, une
entreprise du Nord. Il est acheté pour le prix de 229349
francs. La chaîne, entièrement nouvelle, coûte
24550 francs.
Le
toueur Ampère V fonctionne avec deux moteurs diesel (20
cv et 10 cv, fournis par la Compagnie Lilloise des Moteurs),
accouplés à des génératrices électriques.
Sa chaîne passe à l'intérieur de deux roues
dentées. Il effectue chaque jour un aller et retour d'un canal
à l'autre. Son port d'attache est situé sur le canal du
Nivernais, environ 50 mètres en amont du barrage. Les
capitaines successifs du toueur se nomment MM. Languinier, Bocque,
Masselon, Vigneron et Blanchard.
Le
toueur Ampère V commence sa carrière à
une époque où de plus en plus de bateaux automoteurs
empruntent les canaux. Aussi sa faible rentabilité est-elle
souvent critiquée.
Après
les deux explosions qui détruisent le pont du faubourg
d'Allier (en juin 1940 et septembre 1944), la navigation devient
dangereuse. Plusieurs péniches heurtent des blocs de béton
qui n'ont pas pu être dégagés. Les premières
passerelles posées en juillet 1940 ont été
construites sur ordre des Allemands au ras de l'eau, ce qui interdit
la navigation. Une autre passerelle est posée quelque temps
plus tard d'une culée à la pile centrale. Pendant
l'automne suivant, deux péniches s'ensablent, le toueur
lui-même est bloqué et il faut l'intervention de deux
locomotives routières pour le dégager. Après la
deuxième destruction du pont, la passerelle provisoire
inaugurée en janvier 1945 est fragile et de nouveaux blocs de
béton réduisent le chenal. Le 9 mai 1946, une péniche
chargée de sable, le Mousqueton, heurte ces décombres,
une voie d'eau se déclare et le bateau doit être vidé
et immobilisé en cale sèche à Saint-Léger.
La
passerelle ne supporte pas la crue, qui l'emporte deux ans plus tard.
Le chenal est à nouveau balisé. Le 18 septembre 1948,
le service de la navigation impose à tous les automoteurs
d'être tirés par le toueur pendant le temps nécessaire
à la construction de la seconde passerelle (ouverte à
la circulation en novembre).
Après
la Deuxième Guerre mondiale, le toueur continue ses
va-et-vient mais les bateaux qu'il tractionne sont de plus en
plus rares :
-
en 1956, 477 bateaux tractionnés, contre 426 bateaux
automoteurs, passent le bief de Loire, pour un total d'environ 80000
tonnes ;
-
en 1965, 118 bateaux tractionnés, contre 417 automoteurs, pour
environ 50000 tonnes.
Les
bateaux qui doivent être ''tractionnés'' par le toueur
sont de vieilles péniches chargées de sable ou d'argile
: le Crabe, l'Etoile, le Flotteur, le Saint-Léger, le
Blason, des barges d'entretien. Mais cette navigation cesse au
début des années 1970.
De 1974 à 1997, le toueur Ampère V est abandonné le long du quai de Saint-Léger-des-Vignes, sa chaîne gît définitivement au fond de la Loire ; il rouille, il est même coulé . L'Office de Tourisme et la mairie de Saint-Léger réalisent un premier renflouage : Ampère V est alors sorti du canal et juché sur un support en béton.
En
2010, il est soulevé de nouveau et déposé près
d'un petit bâtiment aménagé en musée, le
Centre d'Interprétation du toueur, à
Saint-Léger-des-Vignes.
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